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Rapport du Second Lieutenant


RAPPORT DE MER DU 2° LIEUTENANT DE L'AFRIQUE.

(Rapport archivé au service historique de la marine de Rochefort.)

Le Capitaine au long cours THIBAUT J-B. Louis, matricule 806 Bordeaux, 2ème Lieutenant à bord de l'AFRIQUE.

à Monsieur l'Administrateur de l'Inscription Maritime à LA ROCHELLE.

Monsieur l'Administrateur.

J'ai l'honneur de vous donner ci-dessous le récit du naufrage de l'AFRIQUE.
Appareillé du Verdon à 7h du matin le 10 Janvier, le Commandant est prévenu à 11h du matin par le Chef Mécanicien qu'il y a de l'eau dans les chaufferies jusqu'à hauteur des plaques de parquet et que les crépines engagées par l'escarbille et le charbon empêchent de pomper. Le Commandant décide alors de corriger la route qui était le S.80.W du Compas avec le 10 N.W. de variation pour venir à l'Ouest du Compas afin de se présenter presque debout à la lame réduisant ainsi un peu le roulis espérant ainsi que l'on pourra dégager les crépines.
Dans la journée les crépines sont encore engagées, les cales sont mises en communication avec le ballast. Jusqu'à la nuit l'eau gagne un peu, les chaudières tribord doivent être éteintes. Grosse houle de l'Ouest et coup de vent violent de l'W.S.W. le navire donne de la bande, roulis et tanguage fatiguant le navire, la pression aux chaudières n'est plus que de 8 kgs. A minuit, le Commandant fait appeler le second capitaine, le 1° lieutenant et moi et nous expose sa décision de faire route sur La Pallice pour y relacher et remettre le navire en état de navigabilité. Nous sommes à environ 70 milles dans le S.70 X de la Coubre (position indiquée par les postes radiogonométriques). Le second capitaine, le 1° lieutenant et moi approuvons la décision.
Nous essayons de virer de bord pour mettre le cap sur La Pallice. Une tentative de virement de bord échoue, six tentatives sur tribord avec la machine babord en avant furent tentées sans plus de succés, la mer étant trop grosse le vent trop violent, le navire ne peut dépasser la position en travers au vent.
Durant ce quart de minuit à 4h le 11 Janvier, essayé après les tentatives de virement de bord de venir en cape debout à la lame. La machine tribord étant dans l'eau, il est difficile de la faire tourner, celle babord seulement est en route à allure très réduite étant donné la faible pression fournie par trois chaudières et une chauffe rendus difficile par l'envahissement de l'eau. Malgré toute la barre mise à gauche. L'AFRIQUE tient le cap entre le N.W. du compas et le Nord, elle ne gouverne plus en travers au vent.
Notre position determinée par des relévements radiogonométriques et des sondages, nous demandons du secours. Apprenons que le CEYLAN vient à notre secours et que des remorqueurs partent de Rochefort. A 15h15', aperçu le CEYLAN, les remorqueurs n'ont pu venir à notre aide à cause de la mer, ils se sont mis à l'abri espérant une embellie. Nous ne pouvons essayer à cause de l'état de la mer de prendre la remorque du CEYLAN, cependant ce navire reste auprès de nous prêt à nous secourir. Nous filons de l'huile.
Les machines stoppent à environ 12h. Le second capitaine est dans la machine pour exhorter les mécaniciens à les remettre en route afin de parer le plateau de Rochebonne. Le Commandant me délègue à mon tour pour aller voir si la machine a pu repartir. Aux environs de 20h, le chef mécanicien fait connaître que les chaufferies doivent être évacuées, la pression qui n'était plus que de 5kgs est tout à fait tombée, les chauffeurs ont de l'eau au-dessus de la ceinture. Aperçu le feu du bateau-feu de Rochebonne par notre travers tribord à 7 ou 8 milles. Nous espèrons parer les hauts fonds mais à 22h nous tombons sur le bateau-feu qui nous aborde de son étrave à plusieurs reprises rappelé par ses chaines, nous défonçant en plusieurs endroits occasionnant des voies d'eau. Une voie d'eau a pu être constatée aux troisième classes mais il a été impossible de l'aveugler. Nous signalons notre situation au CEYLAN le priant de demander immédiatement les remorqueurs et lui disant de se porter au N.E. du plateau. Il nous apprend que lui aussi est en avaries, nous lui indiquons notre position en brulant des feux de Bengale et des fusées.
Vers minuit les passagers prevenus qu'ils auront à abandonner le navire, la bande étant devenue inquiétante on met au poste d'évacuation à peine peut-on se tenir debout sur le pont. 2 embarcations du côté du vent à babord peuvent être amenées, les femmes et les enfants invitées à embarquer s'y refusent prises de peur, ses embarcations cassent leur bosse et s'écartent ayant chacun deux hommes à bord, elles partent en dérive.
Nous amenons les 3 embarcations qui restaient du côté tribord sous le vent, le surf boat ayant été enlevé dans le courant de l'après-midi par un coup de mer. Elles s'écartent sans qu'aucun passager ait tenté d'y embarquer. Le canot 5 reste engagé un moment le long du bord happé par l'aspiration du navire tossant sur la lisse du pont promenade.
A ce moment la dernière embarcation qui pouvait être amenée, le canot 6 l'ayant été, je me décide d'essayer d'embarquer dans ce canot qui n'a pas pu encore déborder. Je m'y jette presque en même temps que le maître d'équipage, depuis le pont promenade me blessant à la tête et à la cheville.
Apercevant le second capitaine qui passe sur le pont promenade, je l'invite à me rejoindre dans ce canot en se laissant glisser par un garant d'embarcation. Notre embarcation frappe le long de l'AFRIQUE happée à chaque coup de roulis et menaçant de se briser, nous risquons à chaque instant d'être assomés par les poulies des garants d'embarcation. Nous sommes à un moment presque rejetés à bord sur le panneau 2 et au bout d'une lutte homérique nous nous dégageons passant sous le gaillard et parant l'étrave. L'AFRIQUE est sur le point de chavirer, il est temps de nous écarter, à l'aviron nous parvenons à nous en tenir un moment à 150 ou 200 mètres, il est 3h15' du matin. Très épuisés nous mettons en cap sur une drôme servant d'ancre flottannte espérant ne pas être happés par le remous de l'AFRIQUE. Pendant que nous écartions, nous parvenons à embarquer dans notre canot deux matelots qui se sont jetés à la mer, mais ne voyant personne autre surnager. La mer est très grosse, le vent n'a pas molli. Nous nous comptons, nous trouvant au nombre de 12 personnes ( 9 membres d'équipage et trois passagers mâles parmi lesquels 2 seconds-maîtres de la Marine et un passager de 3ème classe M.Métayer).
Le vent, la mer nous font dériver, quand le jour se lève nous mettons à la voile vent AR et fuyons tout le jour gouvernant à la lame cherchant la terre. Aperçu un vapeur à 7h du matin et le phare des Barges, ainsi que la côte des Sables d'Olonne.
Nous renonçons à atterir à cet endroit étant données les difficultés. Nous cherchons l'Ile de Ré ou l'Anse de l'Aiguillon.
A 15h, renonçant à passer une nouvelle nuit dans l'embarcation nous décidons d'atterrir à la côte la plus proche. Nous abordons au Goulet de St Vincent sur Jars franchissant les brisants à 16h30' environ et sommes recueillis par les habitants du village.

signé : THIBAUT

© 2010 Alain FRANCOIS